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Guerre en Ukraine : Les Etats-Unis bloquent la mainmise sur l’économie européenne par la Chine et la Russie ( Tribune du politologue Freddy Mulumba)

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L’affrontement militaire entre la Russie et les Usa à travers la guerre en Ukraine a des motivations économiques.

L’initiative ceinture et route de la Chine et l’Union Economique Eurasiatique de la Russie sont les instruments du grand marché eurasiatique. La guerre en Ukraine est une stratégie des Etats-Unis d’Amérique pour empêcher la Chine et la Russie de contrôler l’économie européenne.

La Chine et la Russie ont initié deux projets économiques pour échapper à la domination économique occidentale : Union eurasiatique pour la Russie et l’Initiative Ceinture et Route pour la Chine. La différence entre ces deux projets si situent au niveau de leurs visions : mondialiste pour la Chine et eurasiatique pour la Russie.

Nostalgique de la grandeur de l’Empire Russe du XIX siècle et de l’Union Soviétique du XX siècle, le président russe Poutine a créé au mois d’octobre 2011 Union Eurasiatique composée de cinq anciens Etats soviétiques : Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Russie, Tadjikistan ainsi que l’Arménie pour certaines dispositions. « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur ; celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête », (Frédéric Pons, Poutine, Calmann-lévy, Paris 2014).Cette Eurasiatique est décrit comme « une association supranationale puissante susceptible de devenir un des pôles du monde contemporain et un lien efficace entre l’Europe et l’Asie ».( La Russie dans le monde, sous la direction de Anne de Tinguy, CNRS Editions, Paris 2019).

Vladimir Poutine reste fasciné par deux figures d’hommes politiques ayant marqué l’histoire de la Russie. La première figure reste celle de Tsar (Empereur) Pierre Le Grand. Visionnaire, créateur de puissance et bâtisseur de beautés, Poutine l’admire, aime se reconnaitre en lui et s’identifie à son destin. Les deuxièmes figures ayant marqué Vladimir sont celles de Lénine qui créa l’Union Soviétique et de Staline qui a construit la puissance de l’URSS. D’ailleurs, le grand père de Poutine fut le cuisinier de Lénine et se mettra au service de Staline après sa mort. Avec la construction de l’Union Eurasiatique, la Russie tient à retrouver sa grandeur perdue.

Bien que la Russie regorge des nombreuses ressources naturelles dont l’Occident a tellement besoin pour son industrie, en l’occurrence le gaz et le pétrole, l’existence de l’Union Economique Eurasiatique n’est pas en réalité une menace économique pour l’Occident. La part de l’économie russe dans l’économie mondiale reste faible. Elle est 11ème au classement mondial en 2020.

Dans ce contexte, la véritable menace économique pour les Etats Unis d’Amérique reste la Chine avec le projet l’Initiative Ceinture et Route. En effet, sous la présidence de Xi Jinping que l’Initiative Ceinture et Route était lancée par la Chine en 2013, après la crise financière 2007-2008 déclenchée dans le monde occidental.

Cette initiative porte en elle-même trois symboles historiques autour de la province de Shaanxi, province d’origine du président Xi Jinping (Agnès Andrésy, Xi Jinping, La Chine rouge nouvelle génération, L’Harmattan, Paris 2013). Le premier est culturel. C’est la province de Shaanxi qui est le berceau de la civilisation chinoise. Le deuxième symbole est économique. C’est à Xi’an, capitale de Shaanxi qui est le point de départ de la route de Soie. Route commerciale qui reliait la Chine à l’Europe en passant par l’Asie avant l’année 1453 date à laquelle l’empire Ottomane prit Constantinople (actuellement Istanbul) mettant fin au commerce entre l’Asie et l’Europe. Le troisième symbole est idéologique. C’est dans la province Shaanxi où fut établie la base de guérilla du parti communiste chinois qui l’amena au pouvoir à Beijing en 1949. Ainsi, on peut observer qu’en initiant le projet « Ceinture et une Route », le président Xi Jinping tient à redonner à la Chine sa grandeur. (Chine 2049, la voie du renouveau national, Beijing 2020. Editions en Langues Etrangères)

Cette Initiative Ceinture et Route poursuivit trois objectifs. En premier lieu, trouver un moyen de parvenir à la croissance économique mondiale dans l’ère post-crise financière. En effet, face à la mondialisation à l’américaine en crise, la Chine, nouveau moteur de la croissance économique mondiale, offre une mondialisation alternative aux autres pays du monde. En deuxième lieu, réaliser le rééquilibrage mondial car la mondialisation économique a été une affaire des européens et des américains. Celle-ci est déséquilibrée et inégalitaire profite aux occidentaux. En troisième lieu, créer un nouveau modèle de coopération régionale au XXIe siècle. Une Ceinture et une Route met l’accent sur une consultation large, une contribution conjointe et des bénéfices partagés. (L’initiative une ceinture et une route, ce que l’ascension chinoise apportera au monde. Wang Yiwei.New word press, Beijing 2017).

Pour atteindre ces objectifs, l’Initiative Ceinture et Route est scindée en deux axes : Ceinture économique de la Route de la Soie et Route de la Soie maritime du XXIe siècle.

Le première axe « Ceinture économique de la Route de la Soie » fait référence à trois routes : la Route du Nord avec le Pont terrestre eurasiatique comme partie principale (Beijing-Russie-Allemagne-Europe du Nord), la Route du Milieu avec des oléoducs et gazoducs comme partie principale (Beijing-Xi’an-Urumqi-Afghanistan-Kazakhstan-Hongrie-Paris), et la Route du Sud avec des autoroutes transnationales comme partie principale (Beijing-Xinjiang du Sud-Pakistan-Iran-Iraq-Turquie-Italie-Espagne).

Le deuxième axe la « Route de la Soie maritime du XXIe siècle » prend comme point de départ les villes côtières de la Chine telles que Quanzhou. Elle relie les océans Pacifique et indien, couvre la mer de Chine méridionale, le détroit de Malacca, la baie du Bengale, la mer d’Arabie, le golfe d’Aden et le Golfe persique, et implique les pays de l’ASEAN, l’Asie du Sud, l’Asie de l’Ouest, et l’Afrique du Nord. Elle comprend deux directions clés : l’une des ports côtiers de la Chine jusqu’à l’Europe en passant par la mer de Chine méridionale et l’océan Indien, et l’autre des ports côtiers de la Chine jusqu’au Pacifique Sud en passant par la mer de Chine méridionale.

En tout état de cause, l’initiative ceinture et route a comme objectif l’établissement de la zone de libre-échange eurasiatique ou d’un grand marché eurasiatique menant à la formation d’un nouvel ordre politique et économique mondial. Déjà certains pays européens participent au capital de la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures, bras financier de l’Initiative Ceinture et Route. Il s’agit du Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie… sauf les Etats-Unis et le Japon qui ont décliné l’offre chinoise. (La Chine et (ou est) le monde, essai sur la sino-mondialisation, Odile Jacob, Sophie Boisseaux du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque. 2019.)

L’absence des Etats-Unis dans le capital de la Banque Asiatique des infrastructures s’explique par le fait que l’établissement de la zone de libre-échange eurasiatique entre en contradiction avec la stratégie de contrôle des Etats-Unis sur l’Eurasie et surtout que la Chine et la Russe sont considérées comme des puissances autoritaires révisionnistes. Dans ce contexte, la guerre ukrainienne met en difficulté l’initiative Ceinture et Route de la Chine et l’Union Economique Eurasiatique de la Russie qui constituent le socle du marché eurasiatique.

De toute façon, derrière cette guerre par procuration entre la Russie et l’Otan-Usa se profilent deux grandes batailles : celle des capitalismes et celle des monnaies.

Sur le plan économique, le capitalisme d’Etat incarné par la Russie et la Chine fait face au capitalisme néo-libéral conduit par les Etats-Unis d’Amérique. Dans le capitalisme d’Etat, l’économie et surtout les entreprises sont contrôlées par l’Etat. Par contre dans le capitalisme néo-libéral, ce sont les privés qui sont les acteurs de l’économie et l’Etat est presqu’absent. (Alain Cotta, l’Hyper capitalisme mondial, Editions Odile Jacob, Paris, 2018.). Entre les deux modèles, il y a l’économie sociale du marché ou l’ordo-libéralisme incarnée par l’Allemagne. C’est un libéralisme qui ne se confond pas avec le laisser-faire et tous les effets indésirables d’une liberté sans règles ni limites. Il prend appui sur une gouvernance fondée sur une vision à la fois dynamique et équilibrée du partage des rôles entre les différents acteurs, où chacun assume pleinement son rôle – notamment les entreprises et l’Etat, mais aussi la société – autour d’un projet collectif où l’esprit d’engagement et de responsabilité domine. (Patrick Artus et Marie-Paule Virard, La dernière chance du capitalisme, Odile Jacob, Paris, 2021).

Cet affrontement entre des modèles économiques s’accompagne de la bataille des monnaies. En effet, les sanctions économiques imposées par le monde occidental à la Russie et son exclusion au mécanisme Swift, les exportations du gaz et du pétrole russe se vendent en rouble, monnaie russe, et non en dollars américains.

Pour contourner les sanctions occidentales, la Russie lie le rouble à l’or et lie les payements du gaz et pétrole au rouble. D’ailleurs depuis 2015, la Russie et la Chine (1er importateur mondial du pétrole et deuxième puissance économique mondiale) et la Russie (deuxième exportateur du pétrole et en gaz) ont mis en place un système de compensation (PVP) entre le yuan chinois et le rouble russe. En plus, ils ont leurs systèmes de paiement alternatifs : le SPFS (Système de Transfert de Messages financiers) russe et le CIPS (Système de Paiement interbancaire transfrontalier) chinois. Seul le CIPS chinois a signé un accord de coopération avec le système SWIFT géré par l’Occident. En cas de sanctions américaines, le CIPS peut fonctionner d’une manière indépendante.

De toute manière, La Chine et la Russie, avec leur coopération entre la communauté économique eurasiatique et la Ceinture et Route, sont en train de créer un nouveau système financier mondial, qui a pour objectif de se substituer au système de Bretton Woods après, notamment, les sanctions illégales en droit international érigées contre la Russie suite à l’opération spéciale en Ukraine. (Catherine Roman Mondialisation.ca, 29 avril 2022 FranceSoir (Tribune). Au moins avec cette guerre en Ukraine, une chose est sure : l’initiative chinoise Ceinture et Route risque d’être mise en veilleuse en Europe comme c’est le cas de la suspension Gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne sous pressions américaines.

Freddy Mulumba Kabuayi

Politologue.

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