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Tanzanie : le président John Magufuli est mort

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Où se trouve le président tanzanien John Magufuli ? La question méritait d’être posée.

Depuis plus de quinze jours, le dirigeant, âgé de 61 ans, n’avait plus été vu en public sur fond de rumeurs persistantes sur son état de santé. Ce mercredi 17 mars au soir, le mystère de cette soudaine disparition a été définitivement percé : le président est décédé de problèmes cardiaques, a annoncé à la télévision la vice-présidente de Tanzanie.
« C’est avec grand regret que je vous informe qu’aujourd’hui, le 17 mars 2021, à 18 heures, nous avons perdu notre courageux leader, le président de la Tanzanie, John Pombe Magufuli », a déclaré Samia Suluhu Hassan.

Mme Hassan a précisé que le président est décédé à l’hôpital Emilio-Mzena, un établissement gouvernemental de Dar es Salaam, où il était soigné. Il souffrait de problèmes cardiaques depuis dix ans, a-t-elle dit. Il fut dans un premier temps admis le 6 mars à l’institut cardiaque Jakaya Kikwete, à Dar es Salaam, mais en était sorti le lendemain. Le 14 mars, il s’est à nouveau senti mal et a été admis à l’hôpital Emilio-Mzena, un établissement gouvernemental, a-t-elle ajouté.

« L’organisation des funérailles est en cours […] Notre pays sera en deuil pour une période de 14 jours et les drapeaux seront en berne », a affirmé la vice-présidente qui va devenir, conformément à la Constitution, la première présidente de l’histoire du pays et va consulter le parti au pouvoir, le CCM, afin de nommer un nouveau vice-président.

Entre gestion controversée de la pandémie et disparition mystérieuse John Magufuli est apparu pour la dernière fois en public le 27 février, ce fervent catholique avait depuis raté par trois fois la messe, où il était généralement filmé en direct par la télévision nationale.

Entre-temps, plusieurs membres de l’opposition avaient appelé les autorités à donner des nouvelles. Les rumeurs autour d’une possible contamination au Covid-19 ont essaimé sur les réseaux sociaux, notamment au Kenya voisin sous le hashtag .

Et pour cause, depuis près d’un an, le chef d’État tanzanien minimisait l’impact du Covid-19. Affirmant que son pays s’était « libéré du Covid » par la prière, il avait rejeté tout confinement ou mesure comme le port du masque. « Le gouvernement n’a pas prohibé le port du masque. Seulement, choisissez bien les masques que vous portez. Les masques importés peuvent nous apporter le Covid. Utilisez les masques fabriqués par le ministère de la Santé ou que vous fabriquez vous-mêmes », avait-il lancé. En janvier, le président Magufuli était jusqu’à qualifier de « dangereux » les vaccins contre le Covid. Il avait toutefois infléchi son discours depuis un mois, affirmant alors que « la maladie respiratoire » circulait toujours.

« La santé du président est un sujet public sérieux. Nous avons été informés quand [l’ancien président Jakaya] Kikwete a été opéré de la prostate, on nous a annoncé quand [l’ancien président Benjamin] Mkapa a eu sa hanche remplacée […] Qu’y a-t-il avec Magufuli que nous ne devons pas savoir ? » s’impatientait mardi sur Twitter son principal opposant Tundu Lissu.

Jusqu’à ce mercredi matin, le quotidien kényan Daily Nation rapportait qu’un « dirigeant africain », dont le « gouvernement est resté catégorique contre l’application de mesures de santé publique, telles que le port du masque, la désinfection et l’interdiction des grands rassemblements », avait été admis dans un hôpital de Nairobi. Rien n’avait alors filtré.

De nombreux officiels tanzaniens sont également décédés ces dernières semaines, souvent sans que la cause de leur mort soit précisée. Parmi eux, le premier vice-président de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, Seif Sharif Hamad, décédé mi-février, dont le parti a, lui, indiqué qu’il avait contracté le Covid-19. Signe que le pays était totalement déconnecté, la Tanzanie n’a plus publié de données sur le Covid-19 depuis avril 2020 (509 cas officiellement et 29 décès), ce qui a incité l’Organisation mondiale de la santé à appeler le pays à publier des données sur le coronavirus et à intensifier les mesures de santé publique.

À la nouvelle de la mort du président, le chef de l’opposition Zitto Kabwe a présenté ses condoléances à la famille de Magufuli. « Mes compatriotes tanzaniens, continuons à prier pour la patience et la compréhension. C’est le moment de montrer notre maturité et notre intégrité en tant que nation », a-t-il réagi dans un communiqué.

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a été l’un des premiers dirigeants mondiaux à s’exprimer à la suite de la mort de Magufuli. « Mes pensées vont à ses proches et au peuple tanzanien », a-t-il écrit dans un message sur Twitter.

Un « homme du peuple »…

Arrivé au pouvoir en 2015, à un moment où la Tanzanie paraissait en bonne voie de devenir une démocratie relativement prospère, John Magufuli a très rapidement été accusé de faire régresser le pays. Né en 1959, dans le nord-ouest de la Tanzanie, sur les bords du lac Victoria, Magufuli y a grandi dans une modeste demeure au toit de chaume, surveillant le bétail et vendant du lait et du poisson pour aider sa famille. Il avait ensuite étudié la chimie et les mathématiques, en partie en Grande-Bretagne, avant d’obtenir son doctorat à l’université de Dar es Salaam en 2009. « Je sais ce que c’est que d’être pauvre », a souvent souligné ce père de cinq enfants à l’allure de professeur – fines lunettes à monture métallique et bouc grisonnant. Après une courte période d’enseignement à l’école secondaire de Sengerema et après avoir travaillé comme chimiste industriel, Magufuli est entré en politique au sein du parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (CCM). Député dès 1995, puis ministre délégué aux Travaux publics, c’est durant cette période qu’il a gagné en popularité et avant d’être nommé ministre des Travaux et des Transports. Avec son style fonceur, les Tanzaniens l’ont tout de suite surnommé « bulldozer ». Une fois élu, il a dans un premier temps fait montre de décisions populaires, s’invitant dans les bureaux des fonctionnaires pour vérifier leur travail ou bien réduisant drastiquement les voyages officiels.

Par la suite, il a interdit les rassemblements politiques tandis que sa tolérance envers ses opposants s’est effondrée. Des lois contre les médias ont été adoptées, des journalistes, activistes et des membres de l’opposition ont été arrêtés. Magufili avait aussi déclaré que les filles enceintes ne devraient pas être autorisées à fréquenter l’école. « Ce régime a fait voter de nouvelles lois très restrictives en matière de liberté d’expression. On a fait taire les voix dissonantes, on les a menacées ou empêchées d’obtenir des documents importants », expliquait au Point Afrique, la chercheuse indépendante et enseignante en droit à l’université Tumaini-Makumira d’Arusha, Aikande Clement Kwayu.

Affirmant avoir obtenu 84 % des voix lors du dernier scrutin du 28 octobre 2020, il entendait se dispenser de la limitation du nombre de mandats imposée par la Constitution, estimant que la liberté et la démocratie avaient des « limites ». « La liberté, les droits et la démocratie viennent avec des responsabilités et chacun [de ces concepts] a des limites. J’espère que je me fais bien comprendre », avait-il dit sans détour devant les députés de son pays. La réélection de M. Magufuli s’était doublée, aux législatives, d’un raz-de-marée de sa formation, le CCM, le Parti de la révolution, au pouvoir en Tanzanie depuis l’indépendance.

Un héritage mitigé
Pourtant, les deux prédécesseurs de John Magufuli, Benjamin Mkapa (1995-2005) et Jakaya Kikwete (2005-2015), étaient des présidents au caractère posé qui, après leur mandat, ont œuvré à des missions diplomatiques sur le continent. Et encore, plus à l’opposé, on peut citer le père de la nation tanzanienne, Julius Nyerere, dont Magufuli revendiquait pourtant l’héritage politique.

Populaire, John Magufuli l’était aussi, grâce à son leadership affirmé, ses propos contre les Occidentaux, et un panafricanisme revendiqué. Il était admiré bien au-delà des frontières de la Tanzanie, notamment grâce à sa volonté affichée de lutter contre la corruption. Sous sa présidence, la Tanzanie s’est dotée de lois permettant d’accroître ses revenus tirés de l’exploitation minière, et a réclamé aux compagnies de ce secteur des millions de dollars d’impôts rétroactifs. Au point de susciter sur Twitter le mot-dièse #QueFeraitMagufuli ?, compilation de messages rivalisant d’humour pour trouver des moyens innovants d’économiser de l’argent. Durant ces cinq années de présidence, l’économie a continué de croître, avant le Covid-19, au taux impressionnant de 6 %, mais les créations d’emplois ont été « peu nombreuses » et la collecte agressive des taxes a affecté le secteur privé et refroidi les investisseurs, a souligné Thabit Jacob, un analyste politique tanzanien installé au Danemark. Le FMI prévoit une chute de la croissance à 1,9 % en cette année. « L’annonce de la mort de Magufuli va redessiner la politique tanzanienne. Ayant dominé la scène politique depuis son élection, il laisse un vide politique », a déclaré à l’AFP Nic Cheeseman, professeur de démocratie à l’université de Birmingham et spécialiste de la région. « Cela va entraîner une incertitude et tous les yeux seront tournés vers la politique interne du CCM pour savoir quels accords ont été scellés au sein du parti présidentiel quant à l’équilibre des pouvoirs après la transition ».

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